Je suis invitée chez les Rastignac, à l’heure du thé.
Dès l’entrée, j’ai l’impression d’être aspirée à l’intérieur du magazine « Art et décoration », de traverser la couverture glacée et l’espace temps, pour me réincarner en éléphant dans un magasin de porcelaine. Mes yeux sont affolés comme un moustique égaré en pleine lumière. La mise en scène des lieux transmet en continu, à mon cerveau lessivé, le message subliminal lancinant : « Dans cette maison, il fait bon vivre…Dans cette maison, il fait bon vivre ». En réalité, c’est une sorte d’appel à l’aide, un S.O.S, un signal de détresse, émanant de gens perclus de solitude ou de paraître, sur leur canapé Chesterfield. Marie-Do a sorti la théière, achetée à Londres chez Harrods, lors des soldes de Janvier. Comme elle le dit si justement : « Il est inutile de se fatiguer à préparer le thé si on n’a pas une bonne théière et une eau de qualité ». J’ai profité qu’elle aille en cuisine, faire chauffer l’eau miraculeuse, pour me débarrasser du chewing-gum que je mâchouille depuis plusieurs heures. Je pense d’abord le déposer dans ma petite cuillère, mais je crains que cela ne fasse mauvais effet. Le coffret en marqueterie est bien tentant mais - j’ai regardé- il est rempli de cigares. Le vase Ming se trouve un peu trop loin. Peut-être qu’en courant très vite… Zut ! Je n’ai plus le temps. Dans le feu de l’action, j’opte pour la cheminée mais je vise mal et le chewing-gum reste collé contre son mur intérieur gauche.
Mon hôtesse reprend ses palabres, son blabla, son charabia incessant tandis que je murmure intérieurement : « Mon Dieu, faites que ce chewing-gum tombe. Par pitié ! ».
Mes lèvres savourent un excellent « Orange Pekoe », of course, lorsque mon cœur s’emballe: ramolli par la chaleur du feu, le chewing-gum commence à couler le long du mur. Mon pouls s’accélère, ma tension monte à dix-huit. Mes yeux s’écarquillent de plus en plus, à mesure que la traînée infâme progresse. C’est comme une verrue sur le visage de Miss Monde, une éraflure sur un pneu Good Year, une tache de Ketchup sur une toile de Klimt. Le temps s’est arrêté, Marie- Do n’émet plus aucun son, le feu ne crépite plus, aucun bruit extérieur ne parvient à mes oreilles. Alors qu’il n’y a plus d’espoir, le chewing-gum est brusquement gobé par un souffle chaud.
Je reviens de si loin qu’il me semble avoir gagné mon ticket pour l’autre Monde.
L’espace d’un instant, je veux bien poser pour la postérité, la tête reposant négligemment sur une courtepointe Laura Ashley.
- « Vous reprendrez bien un peu de thé ? »
- « Avec plaisir, Marie-Do. Avec plaisir. »
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